Lorsque l’on pense au front des Vosges pendant la Grande Guerre, des noms nous arrivent naturellement : le Linge, le Hartmannswillerkopf, la Fontenelle ou encore la Roche Mère Henry. Toutefois, de l’autre côté de l’Atlantique, la bataille la plus célèbre est probablement celle de Who Run. Pourquoi ? Tout simplement parce que cet engagement fut le baptême du feu du futur 33e président des États-Unis : Harry S. Truman (1884-1972).
Lafayette, nous voilà !
Le 14 avril 1918, le 129e régiment d’artillerie de campagne américain débarque en France, à Brest. Harry S. Truman a alors le grade de lieutenant. Le 23 avril, il est promu capitaine et reçoit le commandement de la batterie D. Cette dernière est équipée de quatre canons français de 75 mm, modèles 1917. Les 194 hommes qui la compose sont en grande majorité des catholiques d’origine irlandaise habitant les États du Missouri et du Kansas. Le 17 août, après une période d’entraînement au camp militaire de Coëtquidan, c’est le départ pour le front. Les hommes du 129e embarquent dans un train pour atteindre le secteur militaire de Gérardmer dans les Vosges. Un « secteur calme » depuis le dernier raid du Hilsenfirst le 20 juillet 1918. Pour l’état-major, c’est un moyen de ne pas trop exposer des troupes inexpérimentées à un combat de haute intensité.
Le 20 août, à seize heures, Truman arrive en gare de Saulxures-sur-Moselotte. Le régiment y cantonne pendant trois jours. Les pièces d’artillerie sont dissimulées des avions de reconnaissance ennemis sous les arbres le long de la rue de la Gare. Le quartier général est installé dans la mairie. Le soldat Jay McIlvaine Lee se souvenait avec nostalgie de ce village :
C’était l’une des étapes dont on se souvenait avec plaisir. […] Les hommes étaient logés dans des greniers à foin, des baraquements en bois, des entrepôts vacants et d’autres lieux semblables, qui étaient raisonnablement propres et confortables ; et bien qu’ils ne soient pas aussi élégants que les quartiers des officiers (qui se trouvaient dans des maisons privées), ils constituaient pour la plupart un souvenir agréable par rapport à certaines de nos expériences ultérieures.
LEE Jay M., The Artilleryman, the experiences and impressions of an American artillery regiment in the world war, Kansas City, Spencer Printing Company, 1920, p. 53-54.
Pendant que les Sammies se remettent du long trajet, Truman se rend une première fois sur le front pour se familiariser avec leurs futures positions.
Dès l’aube du 23 août, les batteries se mettent en route pour Kruth, en Alsace, qu’ils atteignent le 24 à quatre heures et demie du matin après avoir traversé Cornimont, Ventron et le col d’Oderen en camions1. Truman se souvient avoir admiré « un des plus beaux et des plus vallonnés pays » qu’il ait jamais vu. Les soldats dépassent Kruth, qu’ils supposent rempli de « sympathisants allemands », et atteignent le quartier général français à midi. Un lieutenant français, ne parlant pas un mot d’anglais, guide le capitaine vers sa future position, encore jamais utilisée par les batteries françaises. Elle se situe dans la forêt du Herrenberg (sur le territoire communal de Mittlach) à environ 1200 mètres d’altitude. Une fois la reconnaissance du terrain faite, Truman doit partager un repas avec le commandant français. C’est un véritable calvaire pour lui : « Ils nous ont servi à la française, un plat à la fois et une assiette propre pour chaque plat. Les officiers français mangent toujours de cette façon. Il leur faut tellement de temps pour servir un repas que je suis toujours plus affamé à la fin que je ne l’était auparavant ».
Vient alors l’ascension du Herrenberg. Pour ne pas attirer l’attention des aviateurs allemands, les artilleurs avancent en laissant 100 mètres de distance entre chaque homme. Le matériel est transporté à la force des bras. Une partie des provisions fut perdue à cause de chutes malencontreuses. Quant aux canons, ils sont acheminés grâce à des chevaux pendant la nuit sans la moindre lanterne. Les pièces d’artillerie sont placées à l’orée du bois le 29 août à trois heures de l’après-midi et la cuisine de la batterie en contrebas.
Un baptême du feu difficile
Le 29 août, nous y sommes, c’est l’heure du premier combat. Le colonel Karl D. Klemm envoie l’ordre d’effectuer un tir de neutralisation au gaz de combat sur les tranchées ennemies. Il fait sombre et la pluie s’est mise à tomber. La rumeur d’un tir d’ajustement sur une brasserie alsacienne attrista un moment la troupe. Mais, rapidement, Truman tourne les bouches à feu vers les tranchées de Heine et tout le monde fut rassuré. Le premier obus est tiré à huit heures du soir dans l’enthousiasme général.
Cinq-cent obus au chlore sont tirés en trente-six minutes. Seuls onze projectiles sont déficients. La mission faite, il faut maintenant retourner à la position initiale. Cependant, le premier sergent Glenwood F. Wooldridge (1893-1977), chargé de ramener les chevaux de trait, prend beaucoup de retard (environ une demi-heure). Dans l’obscurité, il ne retrouve pas son unité. Les canassons arrivent enfin vers neuf heures. Cependant, il est trop tard pour ramener les pièces vers l’arrière sans encombre. De plus, au lieu de reprendre le chemin le plus sûr, le premier sergent donne l’ordre d’aller tout droit pour gagner du temps. Or, le terrain est particulièrement pentu et boueux. Les deux canons des deuxième et quatrième sections s’embourbent. Vers neuf heures et demie, comme on pouvait s’y attendre, l’artillerie allemande leur rend la politesse avec des canons Krupp de 77 mm (FK 16). Affolés, les chevaux détalent dans tous les sens. Deux sont fauchés par des éclats d’obus. Deux autres, grièvement blessés, durent être achevés. La monture de Truman aurait chuter dans un trou d’obus mais ce dernier s’en serait sorti sans une égratignure2. Des alertes aux gaz sont déclenchées. Les artilleurs peinent à enfiler les masques à gaz sur les museaux des équidés. Wooldridge se met à paniquer et hurle : « Fuyez les gars ! Ils nous ont mis le grappin dessus ! » Il abandonne sa position et entraîne quelques membres de l’unité dans sa fuite. Toutefois, celui que ses hommes appellent Captain Harry reste à son poste. Un obus tombe à moins de cinq mètres de lui. Pourtant, il garde son sang-froid, ordonne que l’on camoufle les canons immobilisés avec des branchages et, avec l’aide du lieutenant Victor Householder, ramène les chevaux et regroupe la troupe. La batterie reprend alors sa route sans problème majeur. Aucune perte humaine n’est à déplorer.
Pour les combattants de la batterie D, l’incident reste en mémoire comme un épisode bien laborieux. La déroute du premier sergent et de quelques autres a également marqué les esprits. Les notes manuscrites d’un mystérieux « J. » ironisent : « À cette occasion, un grand nombre d’hommes se sont distingués comme coureurs à pied ». Truman et ses hommes, comme tous les Américains, ont en mémoire les combats de la guerre de Sécession. Dans leur esprit, cette déconfiture leur fait penser à la Première bataille de Bull Run (21 juillet 1861), immense désillusion pour l’armée nordiste au tout début du conflit. Ne manquant pas d’humour et d’autodérision, les hommes décident de baptiser cet engagement « The Battle of Who Run », qu’on peut traduire par « la Bataille de Qui-a-Fui », s’inspirant également du titre du film de Mack Sennett sorti en 1913 (connu en France sous le titre Mabel s’en va-t-en guerre).
La bataille du Herrenberg terminée, Wooldridge est rétrogradé au rang de simple soldat et transféré vers la batterie B. Truman avait accordé sa confiance à Wooldridge car il avait participé à l’expédition du Mexique de 1916-1917. Mais cette ombre au tableau fut l’erreur de trop. Les soldats ayant agi admirablement sous le feu sont promus. Dans la soirée du 30 août, Truman a besoin de conducteurs pour ramener les deux pièces d’artillerie laissées sur place. Tous sont volontaires. On quitte le front dans la nuit du 31 août au 1er septembre. La 35e division américaine avait perdu une centaine d’hommes dans les Vosges. Le 1er septembre, alors qu’il se remet de ses émotions à Kruth, Truman écrit à sa fiancée Bess Wallace :
Chère Bess,
Je suis la personne la plus heureuse du monde ce matin. J’ai reçu deux de tes lettres et j’ai accompli mon vœu le plus cher. Sous mon commandement, nous avons tiré 500 obus sur les Allemands, nous avons été bombardés, nous ne nous sommes pas enfui Dieu merci et n’avons pas perdu un seul homme. […] J’ai passé la semaine la plus éprouvante de ma vie, je suis très fatigué, mais je suis par ailleurs en très bonne condition physique, mentale et morale. […] Je me trouve dans un pays magnifique et il me parait honteux de devoir y répandre des obus, mais comme le disent les Français, les Boches sont des porcs et doivent être tués. […] J’ai tellement sommeil que je n’arrive pas à garder les yeux ouverts, mais j’écrirai à nouveau dès que je le pourrai. […]
À toi pour toujours,
Harry.
Lettre de Truman à Bess Wallace, 1er septembre 1918 (Harry S. Truman Library).
Vers l’offensive de Meuse-Argonne…
Sur le chemin du retour, les soldats, épuisés et affamés, auraient voulu faire halte à Saulxures, dont le souvenir leur est agréable. Mais les ordres sont de continuer jusqu’à Vagney. Du 3 au 5 septembre, les batteries A, B, C et D cantonnent à Vagney même. Les batteries E et F établissent leurs quartiers à Zainvillers. Sur un plan du cantonnement de Vagney, on trouve au dos l’inscription « Battery D ». Vagney n’ayant accueilli qu’un seul régiment américain d’artillerie, on peut en conclure qu’il s’agit très probablement de l’emplacement de la batterie du capitaine Truman. Ce dernier aurait donc été logé au centre du village, entre les routes de Gérardmer et de Gerbamont. Le 4 septembre, Truman écrit dans son carnet de notes : « Vagney, très plaisant. J’ai mangé une pâtisserie à la gelée très bonne ». L’étape de Vagney ressemble à une véritable pause au milieu de cette guerre. Par ailleurs, le soldat Jay M. Lee se souvient avoir réellement découvert ce qu’était la France de l’arrière à cet endroit :
Les gens nous ont généralement traités avec beaucoup de gentillesse et de cordialité, comme ce fut d’ailleurs le cas avec presque tous nos hôtes, où que nous allions. Les invités militaires, qu’ils soient français ou américains, n’étaient pas volontairement accueillis par la population ; ou du moins, si les quartiers n’étaient pas proposés volontairement, ils devaient être réquisitionnés. Mais leur hospitalité ne faisait que très rarement défaut et leur esprit était inébranlable. À Zainvillers, l’un d’entre nous porta ses bottes chez un cordonnier pour y faire clouer le talon. Il découvrit que le cordonnier était une paysanne qui, tout en travaillant et en laissant déambuler ses enfants de tous âges, essayait de tenir. “La Guerre est très longue” soupirait-elle. Mais elle était solide et patiente pour aller jusqu’au bout. Espérons que son soldat n’a pas eu de malchance dans les quelques semaines qui restait de la guerre. En passant le long des routes de ce hameau, nous pouvions voir les progrès de la récolte saisonnière des céréales et du foin. Les travailleurs étaient des vieillards, des femmes et de petits enfants, dont certains semblaient à peine en âge d’aller à l’école ; de vieilles grands-mères, portant sur le dos de curieuses échelles, portaient à la force de leurs longs bras des masses de foin qui auraient vraisemblablement constitué une charge suffisante pour un cheval. C’était littéralement vrai que tous les hommes de France était dans l’armée. Seuls les très vieux et les infirmes étaient exemptés de l’armée, mais pas du travail. Une fois, dans la maison où il était logé, l’un de nos hommes pensa qu’il avait trouvé une exception : un homme intelligent, de belle apparence, et peut-être âgé de quarante ans. Le lendemain matin, en passant dans le salon de la maison, il a vu l’homme ajuster sa jambe de fer, et le mystère était levé.
LEE Jay M., The Artilleryman, the experiences and impressions of an American artillery regiment in the world war, Kansas City, Spencer Printing Company, 1920, p. 66-67.
Lee ignore malgré tout que chaque occupation américaine fait l’objet d’un billet de logement collectif (Billeting Certificate) et d’une liste de répartition des logements et cantonnements (Billeting Distributing List) rédigés par le major de cantonnement (Town Major). À partir de ces documents, l’armée américaine indemnise les communes qui redistribue ensuite l’argent aux habitants ayant accueilli des soldats. En outre, toute dégradation peut amener à une plainte pour obtenir compensation. Ainsi, pour les 3 et 4 septembre, le régiment doit 467,90 francs à la commune de Vagney. Bien qu’indiscutable, l’hospitalité des civils ne doit donc pas être idéalisée.
Le repos terminé, le régiment quitte Vagney le 5 septembre vers 13 heures pour Remiremont où il monte dans un train le 6 septembre, à une heure du matin, en direction de Bayon (Meurthe-et-Moselle). Truman et ses hommes allaient désormais participer à une opération alliée majeure : l’offensive de Meuse-Argonne…
Who run ?
Combien d’hommes se sont enfuis le 29 août 1918 ? La question peut paraître sans importance. Cependant, le nombre de fuyards ayant été instrumentalisé par la suite par divers individus, il paraît utile d’essayer d’y répondre. Commençons par les sources les plus proches de l’événement. Le rapport du major Marvin Hayes Gates du 31 août 1918 déclare : « Une certaine confusion s’est installée au sein de la batterie D. À première vue, il apparaît que cela fut causé par le 1er sergent qui a désobéi aux ordres en envoyant les deux sections de gauche vers l’avant au lieu d’avancer par le flanc gauche. Cela a amené une pièce sur un terrain mou et boueux où elle fut immobilisée. Des shrapnels ont commencé à tomber près de la pièce. Le 1er sergent a perdu son sang-froid et les hommes ont abandonné la pièce3 ». D’après ce rapport, seule une section de la batterie fut concernée par le mouvement de panique. Le lendemain, le rapport officiel du capitaine Truman, très laconique, ne mentionne qu’un seul fuyard : le fameux Wooldridge4. Trois jours après l’incident, la lettre de Truman à Bess est claire : « Mes Irlandais sont restés avec moi, à l’exception de quelques conducteurs qui furent très effrayés et de mon premier sergent. » Lui-même a hésité à fuir : « Ma plus grande satisfaction, c’est que mes jambes n’ont pas réussi à m’emporter, bien qu’elles en avaient très envie. »
Après la guerre, plusieurs soldats racontèrent leurs souvenirs de l’événement. Les témoignages sont étonnement contradictoires. Certains sont particulièrement optimistes. Le sergent Verne Chaney déclare en 1919 que seuls deux hommes manquèrent à l’appel5. Le soldat Vere C. Leigh ne se souvenait que d’un ou deux gars effrayés. Pour ce dernier, l’expression « Who Run » était surtout une blague. Un autre artilleur, Floyd T. Ricketts, assure qu’il n’a vu personne courir ce jour-là. En opposition, quelques vétérans parlent d’une véritable débandade. En 1970, le sergent Walter B. Menefee affirme : « Le capitaine Truman et Dummy Leeman, et je ne me souviens plus, un ou deux autres, étaient à peu près les seuls à ne pas s’être enfuis ». En 1988, McKinley Wooden, ancien mécanicien de la batterie, sous-entend lui-aussi une majorité de fuyards.
Nous ne saurons jamais avec exactitude combien d’hommes ont abandonné leur poste dans la soirée du 29 août. Toutefois, en se basant sur les sources les plus fiables, c’est-à-dire les rapports officiels et la correspondance privée la plus proche de l’événement, on peut estimer que la déroute a concerné au maximum une section de la batterie, à savoir 48 hommes sur les 194. Mais cette estimation haute semble peu crédible lorsque l’on croise les sources. Il faudrait certainement parler d’une dizaine ou d’une vingtaine de conducteurs et de servants.
La construction d’une légende
Truman se lance dans la politique en 1922. Particulièrement soucieux de travailler son image, il se met à instrumentaliser la bataille de Who Run. Après 1934, alors qu’il vient d’être élu sénateur du Missouri, Truman commence à rédiger son autobiographie centrée sur sa carrière dans l’armée : The Military Career of a Missourian. Lorsqu’il aborde Who Run, il exagère largement le nombre de fuyards : « Tous les hommes ont fuis sauf [moi] et six ou sept soldats du rang ». Cette autobiographie n’a jamais été publiée. Néanmoins, on constate sans peine que Truman souhaite se présenter sous un jour plus flatteur. Il a peut-être utilisé cet argument pour briguer un siège au Congrès durant la campagne électorale de 1940. En 1955, dans le premier volume de ses mémoires, Year of Decision, il maintient cette nouvelle version : « Ma batterie a été prise de panique et tous, sauf cinq ou six, se sont dispersés comme des perdrix ». Il relate également qu’il dut utiliser un langage fleuri pour ramener ses Irlandais à leur poste. Chose invérifiable en vérité. Réélu de justesse en novembre 1948, Truman a besoin de réaffirmer sa capacité à gouverner et à faire face à l’Union soviétique dans la Guerre froide qui se dessine. Ainsi, le 22 janvier 1949, dans son article « The Truth about Truman » (La Vérité sur Truman), publié dans le magazine Collier’s, le journaliste Frank Gervasi rend public le témoignage d’un ancien frère d’armes du président, Edward Jacobson :
Je m’en souviendrai toujours, […] cela se passait dans les Vosges. La batterie D avait été repérée par l’ennemi. Les bombes allemandes tombaient sans cesse, encadrant exactement l’emplacement de nos forces. Il était évident que l’emplacement du prochain tir signifierait notre destruction. C’est alors que l’un des sergents fut pris de panique et se mit à crier : “Chacun pour soi et sauve qui peut !” Le capitaine Truman se trouvait juste à côté, étudiant les ordres de tir et préparant la contre-attaque. Il entendit les hurlements du sergent, sortit son revolver et cria : “Je tirerai sur le premier qui abandonnera son arme…” Les hommes revinrent aussitôt à leur poste. Quelques minutes plus tard, la batterie allemande était contrainte au silence. […] Il y a des choses qu’on oublie pas…
Edward Jacobson, 1949.
L’Article du Collier’s se diffusera également en France puisqu’il est intégralement copié dans Carrefour le 26 janvier. Le témoignage de Jacobson est évidemment complètement faux. Pourtant, le récit d’un capitaine ferme et autoritaire ayant ramener ses hommes à leurs positions s’affirme.
Tous les biographes de Truman, de Robert H. Ferrell6 à Barbara S. Feinberg7 en passant par David G. McCullough8, diffusèrent largement la thèse du capitaine resté stoïque au milieu d’une unité en pleine déroute. On rabâche l’anecdote des noms d’oiseaux qui firent revenir les canonniers à la raison. À tel point que cette version se diffuse dans la culture populaire américaine. Par exemple, dans le spectacle historico-comique Give ’em Hell, Harry! de 1975, James Whitmore incarne un Truman hurlant sur ses Irlandais à Who Run : « Revenez bande de mackered-snappers9 ! ». Ceux-ci reviennent alors aux pièces pour mener une contre-attaque. Il faut attendre l’ouvrage de l’historien Dennis M. Giangreco, The Soldier from Independence : a military biography of Harry Truman (2009), dont l’analyse des sources est admirable, pour voir les premières critiques de cette version des choses10. Le débat historiographique est donc loin d’être terminé.
Notes
- Notes manuscrites sur le 129e régiment d’artillerie de campagne, 4 juin 1919, NAID 75439959 (Harry S. Truman Library). ↩︎
- TRUMAN Harry S., The Military Career of a Missourian, [s.l.], [s.n.], [1934-1944]. Truman déclare cet incident dans cette autobiographie dans laquelle il contredit parfois ses lettres écrites pendant la guerre ainsi que ses rapports officiels. L’anecdote n’est donc pas avérée avec certitude. ↩︎
- Rapport officiel du major Marvin Gates au colonel Karl Klemm, 31 août 1918, NAID 75438078 (Harry S. Truman Library). ↩︎
- Rapport officiel du capitaine Truman sur les activités de la batterie le 29 août 1918, 2 septembre 1918, NAID 207315145 (Harry S. Truman Library). ↩︎
- The Memoirs of Sergeant Verne Chaney Sr., [s.l.], James G. Henry, 1919, p. 20. ↩︎
- FERRELL Robert H., Harry S. Truman: a Life, Columbia, University of Missouri Press, 1994. ↩︎
- FEINBERG Barbara S., Harry S. Truman, New York, F. Watts, 1994. ↩︎
- McCULLOUGH David G., Truman, New York, Simon & Schuster, 1992. Il faut malgré tout avouer que McCullough est beaucoup plus critique et nuancé que ses homologues. ↩︎
- Insulte protestante anglo-saxonne à l’encontre des catholiques, les réduisant à leur consommation de poisson le vendredi. ↩︎
- GIANGRECO Dennis M., The Soldier from Independence : a military biography of Harry Truman, Minneapolis, Zenith Press, 2009. ↩︎